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FPL : la licence libère l’argent ?

Une bonne licence, oui ! Mais pour qui ?
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Droit et licences

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–  mercredi 30 octobre 2002, par Raphaël Rousseau

Un grand nombre de licences logicielles libres sont « fait maison », et se prévalent d’être plus justes que celles de leurs prédécesseurs. Hélas, mille fois hélas, la FPL [1] nous prouve une fois de plus que le mieux est l’ennemi du bien.

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En tombant tout récemment sur la FPL [2], je me suis immédiatement dit « encore un groupe qui part d’une idée louable à la base, mais qui s’engage dans une mauvaise direction ».

Ayant horreur de critiquer sans avoir pris la peine de regarder à deux fois, je me penche vers le texte de la FPL, (anciennement) accessible à l’adresse http://www.bridgethink.com/html/licence_fpl.html.

Selon sa sensibilité, on pourra lire la formulation de la FPL sous l’angle de vision de plusieurs organisations qui ont défini le Logiciel Libre en des termes proches, mais néanmoins différents.

Selon la FSF

Quoi qu’on en dise, la FSF est garante d’une « certaine idée du logiciel libre », et elle l’exprime en des termes simples au travers de 4 libertés :
 La liberté d’exécuter le programme, pour tous les usages (liberté 0).
 La liberté d’étudier le fonctionnement du programme, et de l’adapter à vos besoins (liberté 1). Pour ceci l’accès au code source est une condition requise.
 La liberté de redistribuer des copies, donc d’aider votre voisin, (liberté 2).
 La liberté d’améliorer le programme et de publier vos améliorations, pour en faire profiter toute la communauté (liberté 3). Pour ceci l’accès au code source est une condition requise.

Or,
sur le texte de la FPL, je lis :

« A.1 Selon le mode d’utilisation des produits couverts par la licence FPL, des dispositions différentes trouvent application.

Si les produits protégés par FPL sont utilisés à des fins non lucratives, les dispositions B.0 à B.12 sur la General Public Licence trouvent application.

Si les produits protégés par FPL sont utilisés à des fins lucratives, les dispositions C.0 à C.16 sur la Lesser General Public Licence trouvent application. »

Donc, si on se réfère aux libertés nécessaires pour qu’un logiciel soit déclaré libre par la FSF, la licence FPL n’est pas satisfaisante.

Selon la définition de Debian

Il s’en trouvera toujours, et nombreux, pour crier à l’intégrisme de la FSF, qui verrait la liberté de manière trop étroite. « Le projet Debian, lui, est bien plus réaliste » diront certains.

Ce projet, que je ne remercierai jamais assez pour sa contribution énorme au logiciel libre, définit aussi ce qu’est un logiciel libre. Ci suivent les principes du logiciel libre selon Debian : [3]

Leur clause 6 stipule la non-discrimination sur l’usage qui est fait du logiciel :

« 6 - No Discrimination Against Fields of Endeavor

The license must not restrict anyone from making use of the program in a specific field of endeavor. For example, it may not restrict the program from being used in a business, or from being used for genetic research. » [4]

Encore une fois c’est la clause A.1 de la FPL qui rend non libres les logiciels couverts par cette licence.

L’Open Source, moins intransigeante ?

S’il y a bien un groupe qui est ouvert au sein de notre communauté, c’est bien l’OSI [5], car ils sont tout à fait conscients des réalités du monde professionnel de l’informatique. On aurait pu penser qu’ils seraient plus sensibles à cette nuance subtile d’utilisation à but lucratif ou non.

Or, le sceau Open Source est régi lui aussi par une définition : l’OSD (Open Source Definition), inspirée ouvertement des DFSG [6]. Et cette appellation contrôlée comporte, en clause 6, les mêmes termes que les DFSG :
« 6. No Discrimination Against Fields of Endeavor

The license must not restrict anyone from making use of the program in a specific field of endeavor. For example, it may not restrict the program from being used in a business, or from being used for genetic research. »

Donc la FPL ne passe pas non plus la qualification OSI-compatible.

Méthodologie

La rédaction d’une licence régissant l’usage de logiciels est une affaire sérieuse et complexe.

Au moins deux catégories d’acteurs doivent se trouver associés à une telle démarche :
 des juristes en propriété intellectuelle avertis. Il devront non seulement avoir un solide bagage en formulation de clauses relatives au monde du logiciel, mais également une concrète sensibilisation aux problématiques propres aux logiciels libres. Sans compter que, pour qu’une licence puisse se targuer d’un rayonnement global (i.e. : international), il serait bon qu’ils aient un point de vue éclairé en droit international, afin d’éviter les pièges légaux transnationaux.

 des acteurs reconnus de la Communauté du Logiciel Libre. Leur rôle ne serait pas de bénir la licence, mais bien d’apporter une approche critique sur le processus de création de la licence, en faisant appel à leur connaissance des pratiques les plus fréquentes et les plus compatibles avec notre Communauté.

Le mélange de formulation anglais/français, couplé à un référentiel juridique (copyright) anglo-saxon est un peu difficile à démêler dans un contexte francophone et régi par le droit d’auteurs européen. N’étant pas juriste moi-même, je ne saurais pas apporter l’assurance qu’une telle licence est valide ou non, mais la validation de la GPL n’est même pas acquise. Que dire de toute licence dérivée et, de plus, partiellement ?

Même si cette licence trouvait un sens en termes juridiques, encore faudrait-il qu’elle attire l’adhésion des acteurs du monde du Logiciel Libre. Là aussi, la question est loin de trouver une réponse positive à coup sûr, dans la mesure où ses auteurs ne lui donnent pas les moyens de la dénomination de « licence libre », ni selon la FSF, ni selon Debian, si même en suivant l’OSD. Manifestement, parmi les organisations reconnues comme ayant le plus de crédit pour attester de la liberté (ou de l’ouverture) d’une licence logicielle, aucune ne pourrait se prononcer en faveur de la FPL.

Motivations à l’écriture de la FPL

Pourquoi écrire à nouveau une licence logicielle, alors que celles faisant référence n’entrent pas en opposition avec les objectifs souhaités par leurs auteurs ?

Les termes de la GPL, de la LGPL ou de la licence BSD n’entrent pas en opposition avec des versements de contributions pécunières aux logiciels redistribués auprès d’une structure à but humanitaire.

Les licences sus-citées prennent ouvertement le parti de ne pas aborder le sujet de la tarification pour laisser leurs auteurs ou tout autre tiers décider des conditions contractuelles liées à l’acquisition du logiciel.

Licence ou business model ?

L’association, également suisse, Ynternet.org [7] fait déjà ce type d’opérations depuis 1998. Il n’est nullement question de nouvelle licence, mais de nouveau modèle d’entreprise [8]. Ce modèle d’entreprise, qui allie une vocation sociale avec la production de logiciel, est tout à fait propice à générer des revenus permettant à la fois l’action à vocation sociale et la pérennité de la structure. Les logiciels développés dans le cadre de cette activité n’ont pas pour objet d’être vendus ou loués par le biais de licences, mais bel et bien d’être des voies de facilitation.

Autour de la production de logiciel, une activité génératrice de revenus peut se développer, comme celle de cours de formation, de conseil, de publication papier, de services divers.

Le logiciel libre est un moyen formidable en terme de communication pour faire connaître son action, mais également pour prouver son attachement aux valeurs d’entr’aide et d’ouverture de notre communauté.

Conclusion

La solution de retourner à un modèle de licences est une facilité qui perdurera tant que les diverses parties prenantes n’auront pas assimilé les fondements, sains, du Logiciel Libre qui sont résumés par les 4 libertés prônées par la FSF (et déclinées par le projet Debian ou l’OSI).

L’enjeu est donc non pas entre les mains des apprentis-juristes, mais bien des entrepreneurs au sens le plus large, qui sauront mettre leur énergie et leur créativité au service de leurs desseins. Le Logiciel Libre, tel qu’il existe aujourd’hui, est un cadre parfait pour leur donner toute marge de manoeuvre, en gardant leur intégrité.

Addendum du 9 nov. 2002 : des membres de la Communauté, bien informés auprès des plus hautes instances de la FSF, me signalent (ou plutôt me confirment) que la FPL est d’autant moins valide qu’elle reprend les termes de la GPL et de la LGPL sans l’autorisation de leur auteur : la Free Software Foundation.

[1Nous faison appel aux services de archive.org pour laisser un accès à ce site même s’il n’est plus accessible, en tout cas pas à la date de cette mise à jour (03 mai 2004)...

[2Je tombai sur cette licence suite à cet article de LinuxFr : http://linuxfr.org/2002/10/28/10106.html

[4En français : « 6 - Aucune discrimination de champ d’application

La licence ne doit pas défendre d’utiliser le logiciel dans un champ d’application particulier. Par exemple, elle ne doit pas défendre l’utilisation du logiciel dans une entreprise ou pour la recherche génétique. »

[5Open Source Initiative : http://www.opensource.org

[6Bruce Perens, auteur des Debian Free Software Guidelines, est un des membres fondateurs de l’Open Source Initiative.

[7Dont je ne pourrai vous cacher que je suis le directeur technique. Voir l’article précédent.

[8ou Business Model pour faire start-up.

forum

  • > FPL : la licence libère l’argent ?
    29 octobre 2002

    Concernant votre point de vue sur la partie A.1 de la licence FPL. J’avoue mon étonnement car la licence GPL et LGPL sont 100% libres, alors pourquoi les deux réunies ne le seraient-elles pas ?
    Les juristes professionnels et les différentes personnes du monde libre que nous avons consultées depuis 2 ans ne nous ont pas informé sur la perte des 4 règles de base du monde GNU FSF. 4 libertés que nous souhaitons promouvoir.
    Pourriez-vous préciser votre point de vue SVP.

    • > > FPL : la licence libère l’argent ?
      30 octobre 2002, par Raphaël Rousseau

      1- Prenez un tableau de maître : magnifique, d’un trait pur et d’une touche quasi magique

      2 - Munissez-vous d’un pot de peinture, ou marqueur indélébile.

      3 - Appliquez un coup de pinceau (ou de marqueur) en travers du tableau.

      Vous avez obtenu quelque chose qui n’a plus rien à voir avec l’oeuvre originale, qui est complètement vicié. Pourtant, sous votre marque qui le souille, le tableau est toujours là, aussi splendide qu’auparavant. Malheureusement, il est alors impossible de distinguer la finesse pré-existante et l’ajout injurieux.

    • > > FPL : la licence libère l’argent ?
      31 octobre 2002, par jul

      En partant de l’article de raph, mon point de vue est le suivant :
       la licence GPL et LGPL sont libre
       la double licence reste libre
       par contre l’ajout de clause discriminant les utilisateurs va à l’encontre du
      logiciel libre (LL) selon la FSF, l’OSI, Debian, et meme l’esprit de BSD.

      Anecdotiquement, il est dommage que les juristes et les membres des la communauté, avec lesquels vous avez travaillé, n’aient pas apposé leur signature comme pour le code. C’est une certaine forme de lettre de créance qui est toujours intéressante à avoir.

      Enfin, comme l’a exprimé ESR (Eric S. Raymond) dans la cathédrale et le bazar, le logiciel a ceci de particulier :
       son cout à la copie est quasi nul,
       la copie meme très indirecte est identique à l’original, et elle ne laisse pas de trace (le crime parfait) tout en nécessitant des moyens de base réduits.
      Il est donc très difficile de faire respecter un modèle sur le gain d’argent à partir de la session de logiciel comme si il s’agissait d’une propriété quelquonque.

      L’idée reprise par ESR est de faire de l’argent autour du logiciel et non
      avec : la clef de voute du logiciel c’est l’imagination, la créativité, et là se situe l’avantage concurrentielle de société LL.

      • > > > FPL : la licence libère l’argent ?
        2 novembre 2002, par Guillaume Pernot

        humm, c’est qu’un gros canulard, tout ca :)

        c’est du gros n’importe quoi !! Et c’est pas heberge par l’Atelier de l’Innovation ? (a qui l’on doit leur fameux codec video a 8kbit/s qui fait 50 octets en java)

        la licence ne doit meme pas etre legale...

        un des indices, c’est l’absolue solitude du gars (aucune reference communautaire, aucun lien avec aucune ONG etc...)

        c’est la desormais classique figure du cyber-"escrot-a-la-petite-semaine".

        on moins, ca permet de rigoler :))