SPIP, logiciel libre dédié à la publication collaborative sur Internet, a obtenu un énorme succès depuis la publication de sa première version en juillet 2001. Pas loin de 500 sites web l’utilisent, avec bonheur la plupart du temps si l’on s’en tient aux réactions et critiques dithyrambiques de nombreux utilisateurs. Il nous a paru intéressant d’examiner, avec l’aide de deux des développeurs principaux de SPIP, Antoine Pitrou et Philippe Rivière, le cheminement du projet depuis ses débuts, son fonctionnement et ses évolutions.
La génèse : des idées et des besoins.
Les origines de SPIP remontent à 1998 quand des acteurs du web indépendant comme Pierre Lazuly, ARNO* ou Erwan Cario cherchent à développer un système de publication afin de faciliter la gestion de leur site. La petite histoire raconte que la première tentative de lancement sera finalement un échec, mais que l’on gardera le nom SPIP et "les raccourcis SPIP".
"SPIP est le nom d’un bateau sur lequel Pierre Lazuly avait passé ses vacances", raconte Philippe Rivière, "par la suite, comme on nous demandait la signification, on a trouvé Système de Publication pour l’Internet. La signification du dernier P reste un mystère...". En cherchant un peu, on trouve aussi la version Système de Publication pour un Internet Partagé ou encore Spip l’écureuil, fidèle compagnon de Spirou...
Finalement, ce n’est que début 2000 que le projet va renaître de ses cendres. On retrouve dans les archives de la liste de développement, "le mail refondateur" écrit par ARNO* et qui, à peu de choses près, va devenir la ligne directrice du projet SPIP. Selon Philippe Rivière, "l’objectif était alors de créer un outil pour faire collaborer différentes personnes sur Uzine et le minirézo. Il donnera ainsi naissance à Uzine2". SPIP s’avère être dans la droite ligne de l’action du minirézo qui milite pour un web indépendant et l’autopublication.
Lancement du projet SPIP.
SPIP s’adresse au départ plus particulièrement aux individus, groupes informels et aux organisations à but non lucratif, contrainte qui va fonder une des règles de son développement et qui va faire son succès : la simplicité et l’accessibilité au plus grand nombre. Le choix technique de PHP et MySQL s’est donc imposé de lui-même, ceux-ci étant généralement présents chez les hébergeurs grand public. "Nous sommes partis d’un script php nommé spiplib qui comportait quelques fonctionnalités comme la correction typographique et les césures", raconte Philippe, "le choix de la licence GPL s’est fait naturellement, sans vraiment se poser de question, cette licence nous était familière de par nos études ou notre connaissance de l’action de Richard Stallman".
Le projet va être semi-public de janvier 2000 à juillet 2001. "En réalité, nous n’en faisions pas la promotion, voilà tout", se défend Philippe, "Nous voulions publier quelque chose d’exploitable, stable et documenté, c’est pourquoi nous avons attendu que ce soit le cas avant de lancer la version 1.0. Mais le code était disponible pour toute personne qui en faisait la demande".
La liste de diffusion, outil central du projet.
C’est tout naturellement que la mailing-list SPIP va être mise en place, liste qui deviendra SPIP-DEV en avril 2001 à l’approche de la publication de la première version de SPIP. Philippe confirme qu’elle est l’outil incontournable du projet "toutes nos discussions à propos de SPIP ont lieu directement sur la liste. On lance une idée ou une proposition, et en fonction des réactions, on voit si c’est un bonne idée ou non". Antoine, qui a rejoint le projet SPIP au moment de la mise en place d’Uzine2 en Septembre 2000, confirme "Oui, il n’y a guère qu’au moment des sorties de versions que l’on se met éventuellement d’accord sur certains points en privé".
Le temps nécessaire au traitement de ces mailing-lists est assez faible. Antoine : "sur mon lieu de travail, je traite les mails de la liste en même temps que les mails professionnels, ça me prend finalement assez peu de temps, juste le temps d’ouvrir le webmail". Philippe fait de même : "La mailing-list utilisateurs est autonome. Les gens s’entraident et sont heureux de le faire. C’est vraiment bien. Nous n’avons quasiment plus besoin d’intervenir sur cette liste."
D’autres outils collaboratifs.
Outre les mailing-lists gérées avec Mailman, les développeurs de SPIP utilisent le web de rezo.net pour la documentation de SPIP, Mantis comme outil de bug tracking et CVS. Quand on les interroge sur les raisons de la non-utilisation d’outils collaboratifs comme Savannah ou Tuxfamily, Philippe répond que "Nous avons pensé à un moment utiliser Sourceforge. Mais ces outils ne correspondaient pas vraiment à nos besoins ou étaient trop complexes. Et puis nous avions rezo.net à notre disposition, alors pourquoi ne pas l’utiliser ?". Antoine ajoute "nous avons par exemple essayé Bugzilla, mais sa complexité était trop importante par rapport à nos besoins. On s’est rabattu sur Mantis beaucoup plus simple".
Pendant longtemps, les développeurs ont utilisé le FTP pour échanger leurs sources, d’où d’inévitables pertes. Les développeurs issus en partie du monde Macintosh et Windows n’avaient pas eu automatiquement le réflexe CVS. Pour Philippe le "CVS est quand même un plus. Il nous évite de mauvaises manipulations, permet une plus grande transparence, d’abord pour nous. On sait qui a fait quoi. C’est quand même très agréable quand on nous signale un bug après une mise à jour sur CVS, la correction est très rapide. On a d’abord utilisé le CVS de Tuxfamily mais suite à des pertes de données, on a installé un CVS sur rezo.net".
Motivations.
Les motivations de Philippe Rivière dans le développement de SPIP sont évidentes puisqu’il l’utilise quotidiennement dans le cadre de son activité professionnelle pour le Monde Diplomatique "nous avons introduit les mots-clés pour le Diplo., ARNO* était au départ très réticent. Ensuite, c’est lui qui a développé leur utilisation". Celles d’Antoine le sont moins "Je suis arrivé sur le projet un peu par hasard. ARNO* m’avait contacté pour une histoire de nom de domaine, et c’est comme ça que j’ai rejoint le projet. Je n’utilise pas SPIP personnellement, mais ensuite, ça devient un peu ton bébé, un peu un passe-temps. J’y passe de une à quinze heures par semaine". Philippe va dans le même sens : "Oui, et en plus c’est un passe-temps économique...et c’est aussi une source de fierté. Je pense que nous sommes assez fiers de SPIP".
Contributions.
"À ce niveau, on est quand même un petit peu déçus", nous confie Philippe. "On s’attendait déjà au départ à ce qu’il y ait plus de développeurs parmi les gens intéressés du minirezo. Ça n’a finalement pas été le cas. Ensuite, parmi les sociétés qui ont développé des choses autour de SPIP, très peu ont joué le jeu de la contribution. Seules une ou deux ont vraiment joué le jeu."
Il faut dire que les critères d’intégration des contributions à SPIP sont sévères. Antoine l’explique très bien : "Nous avons une démarche de simplicité et de qualité. Les contributions que l’on reçoit doivent être inscrites dans cette démarche pour être intégrées. Nous avons toujours cherché à avoir une interface simple et agréable, utilisable par quiconque". Philippe surenchérit "j’ai déjà reçu des choses qui fonctionnaient très bien mais qui n’étaient pas bien finies. Ou alors des choses dont je ne comprenais pas le code donc difficilement maintenables. Et puis, quand on reçoit quelque chose, il reste souvent 50% du travail à effectuer. Le plus pénible est encore l’intégration à SPIP. Et puis il a souvent un arbitrage entre l’intérêt général et l’intérêt particulier".
Mais contribuer ne se limite pas au code. Et de ce côté là, la vivacité des listes de diffusion de SPIP symbolise assez bien la naissance d’une communauté qui s’investit et s’organise. Outre les traditionnels rapports de bugs ou propositions d’ajout de fonctionnalités, on voit fleurir des initiatives comme SPIPAGE qui se veut un site d’"Aide, d’astuces et de discussions pour promouvoir la publication sur internet avec SPIP, facile et pour tous". Il se dit même qu’un livre sur SPIP serait en préparation, si ce n’est pas là le signe du succès...
Fork.
Les tentatives de Fork ont toutes plus ou moins échoué pour l’instant. Pour Philippe, "le projet SPIP est plutôt un projet convergent que divergent. Nous avons entendu parler de Dua_Spip par exemple, mais nous n’en avons plus de nouvelle".
À signaler une initiative récente d’un SPIP interfacé sous Mozilla, XULit.
L’avenir du projet SPIP.
L’avenir de SPIP passe par l’internationalisation. De ce côté-là, Philippe n’est pas inquiet "Une fois que l’on aura mis en place les structures, je pense que cela ira très très vite. Il existe déjà une version de SPIP en anglais. Vu le nombre d’utilisateurs de SPIP, il ne devrait pas y avoir de soucis". Un projet allemand a également vu le jour, spip.de qui visait principalement à traduire SPIP et sa documentation en allemand.
Par contre, le sentiment de Philippe est que "SPIP va atteindre la maturité au niveau de ses fonctionnalités. Il ne reste plus grand chose à ajouter".
Alors le projet SPIP arrive-t-il à son terme ? L’avenir nous le dira...
Merci encore à nos interviewés, dont l’outil est mis au premier plan dans les colonnes de Libroscope !
(mise à jour) Nous proposons désormais la retranscription d’une conférence d’un des développeurs de SPIP : « Spip au scope ».