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Entrevue et vues sur la Propriété Intellectuelle à l’OMPI.

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Droit et licences

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–  vendredi 21 mars 2003, par Julien Tayon, Richard Owens

Le logiciel libre est le fruit de la collabaration de multiples acteurs à travers le monde. Cette communauté, dont l’équipe de Libroscope fait partie, est basée sur une volonté de partage de la connaissance. Nous garantissons notre capacité à collaborer au moyen de licences d’utilisation de nos oeuvres. Ainsi, il est vital pour nous de connaître les enjeux de la propriété intellectuelle qui peuvent consolider ou défaire nos oeuvres. Je me suis rendu à Genève au siège de l’OMPI afin de recueillir le point de vue d’un membre de cette institution M. Richard Owens, chef de la division du commerce électronique des techniques et de la gestion du droit d’auteurs.
Cette agence, membre de l’ONU, a pour vocation d’harmoniser les législations sur la PI (propriété intellectuelle). Son rôle d’arbitrage l’oblige à être impartial vis à vis des parties prenantes ce qui nous a semblé être important dans un cadre informatif.

Les propos ci-dessous sont ceux de Richard Owens, retranscrits et synthétisés, puis soumis à son approbation.

Présentation de L’OMPI [1] et de ses missions

L’OMPI fait partie de l’ONU. Notre mission est de promouvoir la PI comme moteur de l’économie pour encourager les artistes à créer et leur permettre d’avoir des revenus.

Nous gérons [2] une vingtaines de traités dont les droits d’auteurs et les droits connexes. Une de nos activités principales réside dans l’harmonisation des législations dans le cadre du PCT [3]

Nous avons aussi une action de promotion des modèles économiques d’entreprises basés sur la créativité.

À cela s’ajoute une mission d’aide au développement pour les pays les moins favorisés sur le plan de la sensibilisation. Nous appelons cette problématique digital divide [4].

Prérogatives

Nous avons un rôle normatif qui, dans le contexte du droit, consiste à créer des normes respectées par les membres d’un groupe ou d’une société : dans le domaine des droits d’auteurs et connexes, dans des problématique émergentes telles que les logiciels, les bases de données... L’OMPI n’a pas vocation à légiférer.

Revenus

Nous avons une activité forte dans le domaines des dépôts de marques et de brevets. C’est d’ailleurs par les dépôts faits dans le cadre du PCT que nous touchons des rétributions. En 2002, nous avons subi une baisse des recettes dûe notamment au ralentissement des dépots de brevets aux États-Unis.

Nouvelles problématiques

Bases de données

Les bases de données peuvent contenir des données de types différents :
 informations nominatives
 photos ;
 séquences ADN] ;
 ...

L’enjeu est de protéger la collection et pas forcément l’utilisation telle quelle. Il n’est pas forcément nécessaire que les données soient protégées pour que la base soit protégée [5].

L’informatique évoluant sur des périodes courtes (5 ans) est-il raisonnable
d’accorder une exclusivité sur un délai largement supérieur (20 ans) sur l’exploitation d’une propriété intellectuelle lié à l’informatique ?

La durée des brevets ne doit pas être confondue avec la durée de vie d’un produit sur le marché. Il faut que le titulaire ait, pendant la durée de son brevet, la possibilité de faire le plus d’accords possibles.

Aujourd’hui, nous notons une tendance chez les pays membres à l’extension des durées d’exploitation.

Lorsqu’une société fait prolonger son droit sur l’exploitation d’une propriété intellectuelle sur un territoire d’une nation membre de l’OMPI, est-ce valide sur le plan international [6] ?

Aux États-Unis, les droits d’auteurs se basent sur l’article 1 section 8.8 de la Constitution américaine qui leur apporte une base juridique.

Le produit et sa valeur sur le marché sont différents, la durée d’un droit d’exploitation est une décision politique qui a pour vocation d’anticiper approximativement la valeur future du produit sur le marché.

Même si on voulait raccourcir les durées de protection, cela n’irait pas sans poser de problèmes ; il faudrait changer les accords internationaux concernant les minima ce qui sur le plan politique ne risque pas de se produire dans les prochaines années.

La prolongation de la
durée des droits d’exclusivité sur une propriété intellectuelle ne remet-elle pas en cause la notion de domaine public ?

La prolongation réduit l’accès à un contenu de manière gratuite, mais il est toujours possible d’en négocier l’accès par le truchement des politiques de licences. Dans ce cadre, le but du DRM est de permettre au titulaire des droits d’auteurs de pouvoir choisir les conditions d’accès au contenu pour les consommateurs.

Mais il faut plutôt attendre une révolution sur le plan économique ; les entreprises vont peut-être devoir repenser leurs politiques d’accès afin de les rendre plus flexibles : si l’accès est trop dur, les consommateurs optent malheureusement pour le contournement des droits de manière spontanée.

Que pensez vous des intiatives combinées concernant la protection des contenus au moyen d’infrastructures logicielles et matérielles combinées ? [7]

Il n’existe pas de sécurité à 100%, ceci laisse le pouvoir au consommateur. C’est ce à quoi les entreprises devraient réagir plus que sur la durée. Elles devraient plutôt permettre un accès plus raisonnable. Cela va prendre du temps. C’est très facile de se représenter la durée comme un mal, mais cette initiative exprime plutôt la nécessité d’augmenter la flexibilité d’accès au contenu.

Est-ce qu’il existe déjà une législation internationale ou y a-t-il un travail de préparation de législation internationale à l’OMPI ayant pour dessein de permettre aux auteurs de rendre immédiatement leurs créations disponibles pour la Société ? Dans le logiciel en particulier ?

Nous commençons à étudier la faisabilité d’un système pour enregistrer les oeuvres, les descriptions et leurs titulaires de droit. Par définition, il ne peut y avoir aucun dépôt comme précondition à l’exercice de droit d’auteur : la révolution française est à l’origine du droit d’auteur, et dans ce cadre la protection de l’oeuvre est simultanée à sa création.

La question la plus posée à l’OMPI par les auteurs est comment protéger leurs oeuvres par le biais de l’OMPI ? Nous ne pouvons le faire car cela serait contraire à la convention de Berne. Dans le cadre de notre mission, il est délicat d’envisager ce problème ; les systèmes et la législation qui permettent de garantir la paternité ainsi que la durée de la protection ne sont pas uniformes dans tous les pays.

Comment les licences des logiciels libres actuelles peuvent-elles être déposées auprès de l’OMPI ? Combien cela coûte-t-il ?

Les licences ne sont pas une protection mais une documentation pour les utilisateurs qui désirent accéder au contenu. Nous sommes au début de notre travail dans ce domaine.

Que pensez vous de la déclaration selon laquelle le DRM ne peut avoir lieu dans un cadre de technologie mandatée légalement [8] ?

Sur ce point je suis assez cynique ; je pense que d’ici que la technologie soit sortie elle sera déjà dépassée. Ce qui me semble important c’est l’interopérabilité. C’est-à-dire comment arrive-t-on à mettre en oeuvre les méta-données d’une manière flexible et neutre sur les oeuvres ?

Comment est-ce que les gouvernements peuvent intervenir dans ce processus ?

En maintenant une infrastructure standard (sur le plan de l’information notamment) pour le DRM. La norme MPEG 21
pourrait peut-être se servir de cette infrastructure

Est-ce que le créateur de l’outil (un logiciel par exemple) peut se déclarer propriétaire des inventions (les données) faîtes avec son outil ?

Normalement non, mais c’est difficile à dire. Néanmoins, les inventions faites avec l’outil peuvent être protégées par un brevet.

Est-ce que le créateur de l’outil (le logiciel) peut imposer des limitations sur les créations obtenues à partir de son outil ? Si oui, sur quelles bases juridiques ?

Ce sont des conditions contractuelles liées aux licences d’utilisation qui forment la base juridique des limitations sur l’utilisation d’un produit : ce n’est pas une problématique de l’octroi d’une propriété intellectuelle.

Un logiciel d’édition de sites web, ne permet pas, par exemple, de créer un contenu tenant des propos négatifs à l’égard de l’éditeur. [9]

Pour utiliser une invention, il faut être d’accord avec sa licence d’utilisation qui n’accorde pas automatiquement de droit sur la seconde création  [10]. Si vous dîtes oui à une licence vous êtes obligé de la respecter. C’est un point contractuel [11].

La tendance actuelle est d’apporter de plus en plus de garanties au respect des brevets, cependant les droits sur la seconde création ne sont par conséquent pas garantis.

Conclusion

Quels sont pour vous les facteurs les plus à même d’influencer l’évolution dans le domaine de la PI ?

Il est probable que les évolutions prochaines dans le domaine de la propriété intellectuelle seront surtout liées à des évolutions dans le domaine économique plus que dans le domaine des réglementations ou des juridictions nationales.

Quelques références sur le sujet

Articles
La situation du droit d’auteur
aux États-Unis d’Amérique
Droit d’auteur & copyright (c), quelques définitions simples
Droit d auteur et copyright : quelles relations ?
Un guide (en anglais) sur la propriété intellectuelle
Annonces de la communauté européenne concernant la propriété intellectuelle
Traités et conventions
L’ensemble des traités disponibles sur le site de l’OMPI
Convention de Berne
le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (WCT)
le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (WPPT)
Le Traité de coopération en matière de brevets (PCT)

Je remercie Yasar Ozbeck pour l’aide qu’il m’a apporté sur la rédaction des questions, Benoit Sibaud pour les corrections orthographiques qu’il m’a remontées.
Et la liste va s’allonger si je continue à rajouter des fautes d’orthographes à chaque fois que je fais des remerciements ;)
Les contributeurs de linuxfr pour m’avoir apporté des précisions.

Je lance un appel à contribution pour remplir [12] les définitions concernant :
 la propriété intellectuelle ;
 les droits d’auteurs et connexes ;
 les brevets / inventions ;
dans wikipedia [13].

[1Organisation Mondiale de la Propriété intellectuelle

[2Lire le document suivant pour avoir plus de précision : http://wipo.int/about-ip/fr/collect...

[3Patent Cooperation Treaty : Traité de coopération en matière de brevets.

[4Litt. La fracture numérique

[5Cette problématique peut concerner une base de données contenant des statistiques sur des résultats sportifs, donc publics.

[6Un brevet est protégé pour une durée de 20 ans, les droits d’auteur pour une durée de 99 ans

[7Au sujet des intiatives combinées, voir notamment TCPA et Palladium

[8Dans le communiqué de presse suivant , Robert Holleyman, président et CEO du BSA, a déclaré, "This is a landmark agreement because it shows that a broad cross-section of companies have come to the conclusion that government-mandated technology protection measures simply won’t work. The technology industry - more than anyone - knows this. And today’s agreement shows that the companies that are hard hit by Internet piracy understand this.
Both industries stated their support for private and federal enforcement against copyright infringers as well as unilateral technical protection measures and they agreed that legislation should not limit the effectiveness of such measures.

[9La licence dont il serait question n’est pas disponible sur Internet Toute confirmation concernant la teneur de la licence papier serait bienvenue

[10Seconde création : création obtenue à partir d’une création intellectuelle, qui peut être un logiciel par exemple

[11La loi du pays détermine après si la clause est abusive ou non : voir http://linuxfr.org/2003/01/22/11038.html

[12Cliquer vous emmène directement sur la page édition

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  • > Entrevue et vues sur la Propriété Intellectuelle à l’OMPI.
    3 février 2005, par mbt

    Benoit Sibaud pour les corrections orthographiques qu’il m’a remonté

    Benoit Sibaud n’est pas allé assez loin : remontées vu que vous parlez des "corrections orthographiques"

    Je viens de découvrir ce site via Framasoft et je tiens à vous féliciter tous pour vos articles.

    Très beau. Très bien. Très clair.

    • > Entrevue et vues sur la Propriété Intellectuelle à l’OMPI.
      4 février 2005, par Julien Tayon

      Benoît n’y est pour rien : je suis vraiment fâché avec l’orthographe, et pourtant elle ne m’a rien fait. :)

      Sinon, Il est plaisant d’écrire, et il est agréable de savoir que des lecteurs ont plaisir à nous lire. Je vous remercie donc.