Le logiciel libre est une énigme pour les paradigmes de management traditionnel :
ils échappent à la Loi de Brooks [1],
les ressources ne sont pas gérées de manière centralisée [2],
ces projets réussissent à innover en rendant publiques toutes leurs informations [3].
Après une comparaison entre les Nouveaux Modèles de Développement (de produits) de l’économie traditionnelle et du logiciel libre, Franciszek Siedlok nous pose la question les méthodes utilisées dans le logiciel libre pour innover sont-elles généralisables à des domaines autres que l’informatique ? . Sa réponse est : oui, ces méthodes sont appliquées dans d’autres domaines aussi traditionnels que l’exploitation de mine d’or, seulement cela n’est possible pour une organisation que si elle remet en cause certains de ses paradigmes sur la création de valeurs. La barrière à l’adoption est avant tout culturelle, et non technique.
Ce texte sera utile autant à la communauté du Libre pour comprendre ses forces dans la R&D [4] que ceux voulant découvrir des modes de coordination innovants.
De ce texte nous pouvons tirer que l’innovation dans le logiciel libre repose essentiellement sur des pratiques innovantes non pas dans le domaine de l’informatique mais dans celui de l’organisation .
Le texte est téléchargeable ici
(PDF, 1 fichier de 3.5 Mo)
Il est aussi disponible ici
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Je pourrais vous citer de grandes propriétés du développement logiciel libre, mais l’avantage du texte de Franciszek Siedlok est de mettre en avant une chose : chacune des forces et des méthodes originales que compte le mouvement du logiciel libre repose sur le partage de valeurs fortes dans la communauté.
Dès lors que celles-ci sont adoptées, il est possible d’utiliser ses méthodes. L’exemple qui a inspiré l’auteur a été traité dans cet article.
Autrement dit vous ne pourrez profiter des forces du logiciel libre qu’en adoptant ses valeurs humaines :
la confiance,
le sens du dialogue et la recherche du consensus,
le sens de sa responsabilité personnelle,
le sens du partage du pouvoir et de la connaissance.
Bref, le logiciel libre est basé sur une éthique de la discussion et le respect de l’autre.
Voici quelques propriétés qui découlent de ce système de valeurs :
Il en résulte un système de promotion des compétences [6] par opposition à une
hiérarchie [7] de statut.
Le système pourrait être considéré comme hyper-compétitif et stressant, si la méritocratie permettait d’accéder à un statut. Il n’en est rien :
on est souvent moteur de projets d’un côté et simple contributeur de l’autre,
les apports sont jugés selon leur pertinence et non selon l’émetteur.
L’intérêt de ce système est de :
permettre d’accepter toute idée intelligente qui vient de l’extérieur du projet [8]
pouvoir travailler en dehors de toute notion de territorialité.
Dans un projet logiciel libre les utilisateurs, les programmeurs ponctuels apportant une petite amélioration et les développeurs de coeur sont tous confondus en une seule et même entité, avec un système de coordination quasi-inexistant. Toutes les informations telles que les besoins finaux, et les contraintes techniques circulent ainsi directement du « producteur au consommateur ».
Le travail n’est pas assigné, les contributeurs apportent ce qu’ils peuvent et veulent bien. Il n’y a alors pas de problème de motivation à résoudre. Contribuer c’est adhérer. Ne pas contribuer ne signifie pas nécessairement un désaccord, parfois juste un manque de disponibilité, d’idées ou un choix différents dans ses priorités personnelles, rien de plus.
Le leader pour un projet est souvent officieusement un dictateur, son pouvoir vient surtout de sa reconnaissance par les pairs qui n’est pas acquises pour être éternelle. Le pouvoir est issu de la force du consensus, et la possibilite de monter facilement un projet concurrent [9] favorise la recherche de consensus.
Ces méthodes ont apporté des produits d’une qualité inégalée souvent sur des marchés de niche [10], et qui maintenant commencent à rivaliser avec des produits grand public [11].
Appliquées comme des recettes de cuisine, ces méthodes tombent à l’eau. Acquérir la culture propre à la communauté est nécessaire, car ces méthodes révolutionnaires décrites depuis 30 ans par des visionnaires tels que Fred. Brooks, Toni De Marco ne sont pas l’essentiel. L’essentiel ce sont les Hommes.
Il y a 30 ans, Toni De Marco introduisait le concept innovant de Peopleware et aujourd’hui la communauté du libre innove en l’illustrant, et en montrant que le peopleware n’est pas l’énervante interface siège-machine, mère de tous les maux de l’informatique, mais son principal moteur. Faire confiance aux Hommes et les remettre au centre de l’organisation est la première condition pour permettre aux organisations d’adopter avec succès les méthodes d’innovation propres à la Communauté du logiciel libre.
L’image n’a rien à voir avec l’article, mais elle est belle. C’est tout. Elle vient du site http://www.mairie-emerainville.fr/i..., et le fait que je sois vexinois est une raison suffisante pour en faire la promotion. La zone humide d’où est tirée cette photo est splendide !
[1] Selon la Loi de Brooks, plus le nombre de collaborateurs augmente plus la productivité globale du projet décroit.
[2] Il n’y a ni cellule de planification ni cellule stratégique
[3] La divulgation de toutes les informations concernant un projet défie la notion de lutte contre l’opportunisme telle qu’introduite par O. Williamson, et a priori empêchant d’obtenir un avantage concurrentiel au sens de M. Porter.
[4] Recherche et Développement
[5] ...et non l’homme !
[6] La promotion des compétences est appelé parfois méritocratie, mais est employé dans un sens un peu galvaudé en France puisqu’il est utilisé comme justification du pouvoir des Grandes Écoles.
[7] Hiérarchie vient du grecque hiéros sacré - et archein dominer. Ce terme désigne initialement les pouvoirs liés aux droits divins
[8] Sans a priori, on évite ainsi les attaques de type Argumentum ad hominem
[9] Constituer un projet concurrent en en partant de la même base est appellé un fork, une bifurquation.
[10] Serveurs de mails, serveurs de noms de domaine, serveur de noms et de fichiers pour environnement Microsoft, constituent notamment de telles niches