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Le Libre, une culture qui ne s’impose pas

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–  lundi 7 janvier 2008, par Julien Tayon

Il m’est arrivé récemment de travailler dans l’urgence à 6 mains sur les mêmes fichiers ce qui est habituellement un enfer ; sauf si on prend le temps d’expliquer à ses comparses l’existence et le fonctionnement d’un logiciel de gestion de versions (un logiciel libre en l’occurrence). Ce qui a suscité l’intérêt de l’un d’eux qui a adopté l’utilisation de ce logiciel.

Et savez-vous quel fut mon plaisir ? Non qu’un logiciel libre soit utilisé, mais d’avoir aidé des gens à se faciliter la vie. J’ai ainsi retrouvé ma motivation première à faire du logiciel libre : être utile aux gens, les libérer.

J’ai laissé parler ma culture, celle du logiciel libre. Et comme toute les cultures, elle ne s’impose pas, elle se partage. Ce que semble avoir oublié une partie de la communauté du Libre.

Le promotion du logiciel libre et de sa culture

A Libroscope, on essaie de vous éclairer sur le logiciel libre et sa culture. Pourtant, il est difficile d’en décrire précisément les contours et les subtilités. Malgré tout, toute personne confrontée au logiciel libre aura au moins noté deux choses qui vont nous être utiles pour la suite de cet article :

 le logiciel libre est fondamentalement non discriminatoire : les libertés d’utiliser (utilisation commerciale incluses), de contribuer, d’y accéder et de s’y exprimer sont ouvertes à tous, indistinctement quelque soit son statut, son âge, sa richesse...
 le logiciel libre est certes non discriminatoire, mais il est néanmoins très sélectif. Cela paraît contradictoire, mais pourtant le RTFM est une porte d’entrée au logiciel libre : le seul effort demandé pour s’intégrer au logiciel libre quelle que soit son origine ou autre est de s’informer, de réfléchir, de faire des efforts. On n’utilise pas des logiciels, on adopte une démarche exigeante en terme de communication, de réflexion, et d’apprentissage.

La promotion du logiciel libre et de sa culture n’est donc pas aisée. On observe généralement deux types de démarche de la part des militants du libre :
 les groupes d’entraide pratique sur et autour du logiciel libre comme Framasoft, les LUGs, les communautés de développeurs (Perl, PHP, Python, Ruby...), les forums d’entraide autour d’outils (comme Debian, Ubuntu, Mandriva...) font la promotion du libre par l’exemple, par la pratique.
 d’autres comme l’APRIL ou l’AFUL ont une démarche qui tend à institutionnaliser le libre, en l’imposant à travers des décisions venues du pouvoir politique.

D’un côté, on a une démarche « bottom-up », de l’autre une démarche « top-down ». Les tenants de l’institutionnalisation du libre attaquent la cathédrale par le haut, par le pouvoir politique. Ceux de la pratique du libre attaquent par le bas, celui du bazar, celui de la base des utilisateurs. Ces démarches semblent complémentaires.

Mais pour une culture, qu’est-ce qui est utile ? L’adoption.

Et d’autant plus pour le logiciel libre, dont l’une des valeurs fondamentales est le partage. L’entraide comme méthode de promotion du logiciel libre a donc ma faveur ; elle remet au goût du jour les newsgroups et HOWTOs dans des formes plus accessibles (forums jabber, web, papier, sociaux).

Pour ce qui concerne l’institutionnalisation du Libre, qui s’apparente bien souvent à du lobbying, je suis circonspect. J’ai en tête deux exemples.

Des victoires qui portent en elles des échecs : le cas Radio France

Ce groupe scélérat [1] de radios du service public n’avait pas utilisé des formats libres pour la diffusion de contenus publics. Résultat : une horde d’internautes indignés, soutenus par des associations militantes, ont fait pression pour que les émissions soient diffusées en format libre !

"Victoire !" me direz-vous ?

Les émissions sonnaient comme des casseroles en format libre alors qu’elles étaient propres en formats propriétaires. N’y a-t-il pas plus belle démonstration contre le logiciel libre ?

Résultat : Radio France diffuse aujourd’hui en 2008, ses programmes uniquement en format propriétaire MP3. La victoire a été certes rapide mais de courte durée. Et ce, essentiellement parce que certains ont tenté d’imposer un format libre à Radio France plutôt que d’agir pour que Radio France adopte librement un format libre.
En agissant de la sorte, en imposant plutôt qu’en partageant, ils sont allés à l’encontre des valeurs fondamentales du logiciel libre, et ont échoué.

Linux à l’Assemblée Nationale

Une victoire franco-française du logiciel libre en 2007 est que les députés utilisent une distribution libre sur leur poste de travail. Victoire pour qui ? Quelle que soit l’hypothèse que l’on fasse, on s’aperçoit que le logiciel libre y perd forcément.

Hypothèse probable : le rejet

Croyez-vous qu’un logiciel imposé par la force va être utilisé ?

Quand on impose quelque chose, on tombe mécaniquement sur la résistance au changement. Si vous voulez, chacun d’entre nous est comme un petit ressort qui, quand on le fait changer de forme, essaie de reprendre sa position. Et plus on tire fort, plus la force de résistance est importante. Si la force de résistance est trop importante, il y a rejet.

Imaginez chacun des députés, qui est surmené à serrer des mains, écouter les doléances de ses administrés, habitué à regarder comme nous tous ses sites d’information optimisés pour Internet Explorer, et qui considère son ordinateur comme une machine à écrire avec lecteur vidéo intégré. Croyez-vous qu’il va être content si on lui mélange quasiment toutes les touches de son clavier sous prétexte que c’est mieux ? Lui, ce qu’il va voir c’est que, dans un premier temps, c’est qu’on lui fait paumer son temps avec ce gadget de m....., et . En plus, s’il regarde le contrat signé par l’État avec les sociétés de services qui s’en occupe il va voir que 80.000€ [2] ça coûte largement plus cher que si on les avait tous laissés utiliser leur Mac ou leur Windows.

De l’autre côté (celui de la communauté), imaginons que l’on voit par le plus grand des hasards un député sur un forum, qui caricaturalement comme tout nouveau venu qui se respecte, va se manger un RTFM peu amène dans les dents. Député ou pas, on va l’enjoindre à réfléchir à trouver les solutions par lui-même à comprendre. Croyez-vous que le député à que ça à faire ? Bref, m’est avis que le gars, même par hasard, on le verra jamais adopter le libre dans ces conditions.

Hypothèse pire : ça passe

Dans ces conditions pour que ça passe, il faudrait que la SSLL ou la SSII maquées pour l’occasion réalisent un support technique aux petits oignons pour les députés.

Députés qui utiliseront le logiciel libre comme ils auraient utilisé Mac ou Windows, mais en mieux, ils ont un support technique.

Ce qu’ils voient ce n’est pas du logiciel libre, ils utilisent un logiciel lambda, comme 20 millions de français qui ont des Neufbox, Livebox ou Freebox. Ils consomment du libre bien à leur place dans la hiérarchie classique de l’informatique, c’est à dire comme des consommateurs abétis, et non libres.

Si vous voulez dire que les députés ayant du logiciel libre adoptent le libre, ce serait comme prétendre qu’un député utilisant le dictionnaire de l’académie française est un académicien.

Non seulement, ils n’adoptent pas le logiciel libre, mais ils ne reçoivent pas le message essentiel qui est celui de comprendre, d’aller vers la communauté. Autrement dit, ils n’apprennent rien.

Conclusion

Pour moi, quelle que soit l’hypothèse, imposer le libre sera toujours une idiotie, car le libre ce n’est pas uniquement du logiciel, c’est surtout une culture. Et une culture ne s’impose pas, elle se partage au coin du feu avec le voyageur qui, ayant vu de la lumière, désire discuter.

Quand en 1996 Eric S. Raymond décrivait la force du logiciel libre, il montraient les bienfaits du bazar [3] face à la cathédrale [4].

Mais, les associations, les lobbyistes de tout poils, les experts (dont les SSLL) ne sont-ils pas en train de transformer le bazar en cathédrale ? En ceci, ne sont-elles pas progressivement en train de transformer le libre en ce que nous honnissions ?

V1.01 écrit moins vernaculaire (conseil moid)
V1.02 correction ortho (Daniel Vermonden)

PS : le logo de l’article est une image d’Athéna victorieuse déesse de l’intelligence. Notons qu’Athéna l’a toujours emporté sur Arès dieu de la guerre.

PPS : toutes les images hors de la cathédrale viennent de wikimedia, pour respecter la licence, il faut que je colle la GFDL ce sera dans ce commentaire.

[1scélérat pour certains...

[2source ZDNet

[3comme image du logiciel libre

[4comme image du mode traditionnel d’organisation des grands projets

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