Combien de fois sur LinuxFr, Framasoft ou dans les entreprises entend-t-on : « le libre, c’est bien, c’est généreux, mais alors que le monde est injuste est méchant comment me garantit-il mes revenus, que je ne serais pas copié, spolié... »
Comment ? Eh bien c’est ce mécanisme qui est expliqué ici même en avant première pour vous :)
Il est un premier point qu’il faut éclaircir malgré l’entêtement de nos journaux nationaux à expliquer le contraire pendant les fêtes : le père Noël n’existe pas ! De la même manière, une fois une loi élaborée et votée par les représentants du peuple, il n’existe pas un croque-mitaine ectoplasmique qui voit tout et qui sait tout qui va faire respecter la Loi et lutter contre les injustices. En fait, c’est un peu faux, ce croque-mitaine existe, et c’est vous ! Voilà le premier secret d’un état de droit.
Une injustice arrive quand quelqu’un vient polluer les forums en disant qu’untel n’est pas gentil avec lui, et par ailleurs envoie balader tous les internautes qui lui disent : « si tu es dans ton bon droit, au lieu de te plaindre et de nous casser les pieds, agis ! » Une injustice est avant tout un ressenti personnel lié à une morale et à des valeurs. Comme nous n’avons pas tous les mêmes morales, les mêmes valeurs, mais que nous sommes condamnés à vivre ensemble, une chose merveilleuse a été instaurée depuis que les hommes commercent entre eux de la Chine à l’Europe en passant par l’Orient [1], on appelle ça le droit. C’est une plate-forme de mécanismes qui limitent nos relations aux autres, limitant autant ce que l’on peut faire subir aux autres, que ce que l’on peut subir. C’est ainsi que nos civilisations ont pu se bâtir sur la base a minima du droit à assurer l’existence d’un commerce de la soie, du poivre ...
Ces limites et ces libertés sont inscrites dans des textes appelés les lois. Le droit d’auteur est défini par une loi, et appliqué au moyen d’un mécanisme appelé Justice dont la principale énergie est... vous ! Soyons pratiques :
Ben oui, coco, il y a des gens méchants. Mais ce qui retient les gens méchants d’agir, ce n’est pas la peur des croque-mitaines. Donc si tu veux que ton droit soit respecté, il faut demander à la Justice de faire appliquer la Loi.
Si tu n’es pas content :
Certes ça prend du temps, mais pourquoi réclamer à ses élus des droits que l’on trouve importants si, quand ils sont bafoués, on ne trouve pas important de les défendre ?
C’est ça vivre dans un état de droit : pour qu’il soit pérenne, il faut défendre son droit quand il est bafoué.
Un certain nombre de droits français sont probablement tombés en désuétude car les citoyens ne sentaient pas aller devant les tribunaux pour les défendre (je pense aux droits d’aller chercher des fagots dans les forêts domaniales, des droits régionaux octroyés par le Roi, non révoqués par la République, comme l’interdiction pour les bretons de payer des octrois, ou le devoir de laisser tout citoyen pisser dans ses facilités...). Le Droit se repose non seulement sur la Loi pour décider mais aussi sur les pratiques précédentes. Si demain, les auteurs qui se font copier sont trop fainéants pour porter plainte et que cela devienne une habitude, pourquoi condamner sévèrement les contrefacteurs qui, par ailleurs, peuvent générer des revenus pour la population tout entière ? Qu’est-ce qui est moralement le plus juste, le respect du droit d’auteur ad nihilo, ou de garantir les revenus ?
Celui qui répondra à la question sera le législateur (député) que vous allez élire et qui amendera la Loi dans le sens que vous donnerez, mais aussi le juge qui se basera sur les décisions prises précédemment, mais, pour cela, il faut qu’il y ait des décisions.
Le logiciel libre propose des droits et des devoirs à ceux qui utilisent les contenus, mais il est de la seule responsabilité des ayant droits, c’est à dire souvent des auteurs, de les faire respecter. En tout état de cause : ne pas défendre un droit, revient à l’enterrer
Le reproche majeur fait au logiciel libre c’est de ne pas proposer de business model [2], ou alors de ne pas dire comment gagner de l’argent avec une oeuvre.
Le logiciel libre utilise la Loi pour accorder des droits, ces droits sont une base pérenne pour pouvoir générer des revenus en ayant une certaine sécurité. Le risque est le premier ennemi du business, le logiciel libre diminue les risques de contentieux. En ceci il lève des freins pour faire le négoce d’une oeuvre collective. Mais autant un moteur sans frein est certainement plus efficace pour avancer, autant un moteur qui ne tourne pas, même sans freins, ne peux pas avancer ; pour cela, le possesseur du moteur doit trouver une source d’énergie pour le faire tourner.
Dans le domaine du logiciel libre, il est clair que c’est de la responsabilité des auteurs de faire tourner ce moteur, et de trouver les source de revenus.
Sans être dans le secret des dieux, il faudra commencer par trouver des gens prêt à acheter un service ajoutant de la valeur à une oeuvre. Comme les auteurs sont capables de pondre une oeuvre protégée par son caractère original, les auteurs trouveront sûrement une idée originale pour valoriser leur création.
Oui, la vie est triste ! Que ce soit dans le domaine du travail, du logement, de la création le seul moyen d’avoir des droits effectifs, c’est d’aller devant un tribunal les faire respecter. Le logiciel libre accorde des libertés, des droits, si vous voulez qu’ils soient une réalité, c’est à vous, auteurs et ayant droit, de les faire respecter. Mais ces droits ne vous garantissent ni le succès, ni la repousse des cheveux, ni des revenus réguliers.
Le logiciel libre est un support. Cependant, en aucun cas un support qui peut se substituer à vos responsabilités. Si vous ne vous sentez pas défendre vos droits, ou trouver par vous-mêmes des sources de revenus autour de vos créations, de grâce, ne venez pas dans le logiciel libre : il est probable que vous n’ayez pas la mentalité qui permettrait de monter une entreprise à caractère économique, bénévole ou social de toute façon.
Pour en revenir à la société dans sa réalité sociale, on fera abstraction des entreprises du CAC40 qui font réguler légalement leur secteur d’activité afin de ne pas avoir de concurrence, et d’assurer leurs revenus sans prendre de risque [3].
Cependant le citoyen ne disant rien à ses députés, ne faisant pas valoir ses droits devant les tribunaux, où est le mal ?
Les premiers artisans des injustices dans un états de droit ne sont pas ceux qui commettent des activités non conformes au Droit, mais les victimes qui ne font ni valoir leurs droits auprès des tribunaux, ni valoir leurs doléances auprès de leurs représentants. Les citoyens d’un état de droit vivent sur les dividendes des actions de leurs aïeux, et façonnent le futur par leurs (in)actions. Il en va du logiciel libre comme de la société, l’artisan de la justice (présente, passée et à venir) est le citoyen lambda.