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Microsoft et logiciel libre : l’art de la guerre

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–  jeudi 6 juillet 2006, par Antoine Pitrou, Thierry Pinon

Microsoft affine sa stratégie de réponse au logiciel libre. Une recherche sur le site Web destiné aux partenaires commerciaux du mastodonte nous prouve que la menace est prise très au sérieux, et que le discours s’est éloigné des affirmations caricaturales des débuts (quand Steve Ballmer affirmait que Linux est un cancer de la propriété intellectuelle).
Désormais Microsoft fournit des tutoriaux pour savoir comment se comporter face à la concurrence commerciale des logiciels libres.

Cette année, Microsoft France a organisé des conférences sur l’« open source », allant jusqu’à confier certaines à un partisan du logiciel libre : Yves Rougy, que nous avons interrogé.

Yves Rougy fait partie de ces hobbyistes qui sont tombés très tôt dans l’informatique. Depuis le TO7 [1] de 1982 où, enfant, il essayait déjà de modifier les programmes fournis dans le manuel d’utilisation pour voir ce que ça changeait, il a égrené les modèles de micro-ordinateurs jusqu’à la découverte de Linux qu’il téléchargea un jour depuis un serveur BBS [2]. Autour des logiciels libres, il retrouve alors les mêmes communautés de partage et de transmission du savoir-faire qu’il avait déjà connues à l’époque de l’Apple II.

Plus tard, il construit logiquement son activité professionnelle autour de sa compétence en logiciels libres, travaillant d’abord chez Alcôve, puis montant une petite entreprise avec d’autres partisans du libre. Faire du conseil autour des logiciels libres, fournir des prestations d’installation et de maintenance, tout en participant aux communautés du libre par la « remontée » de bugs, l’écriture de documentation, les conférences données : voilà comment s’énonce au quotidien la vie professionnelle d’un des nombreux acteurs du logiciel libre.

Pourquoi cette préférence renouvelée pour le libre ? A cause du « partage du savoir, l’entraide matérialisés dans les libertés fondamentales du libre. C’est une approche très scientifique : le partage de la connaissance pour faire avancer les choses. Et puis, j’aime bien savoir comment les choses fonctionnent, et quand on lance un logiciel propriétaire : bernique ! »
Le libre permet d’étudier comment fonctionne un système informatique, c’est une connaissance qui est même aisément recyclable dans le logiciel propriétaire car « il n’y a pas 500 manières d’écrire un système d’exploitation ». Ainsi le libre est-il un moyen de conjuguer l’utile à l’agréable... malgré le côté religieux et sectaire de certains zélateurs du libre pour qui « le logiciel libre, c’est mieux un point c’est tout ».

Panorama du libre en entreprise

Dans son contact avec les entreprises, il a constaté que le logiciel libre était toujours à la mode : plus que leur part infime dans les budgets informatiques ne le justifierait, mais moins qu’il y a quelques années où jouait l’attrait de la nouveauté. Il constate aussi que l’intérêt pour le logiciel libre au sein d’une entreprise vient souvent d’une personne « motrice » qui en fait la promotion auprès de ses collègues et supérieurs (allant jusqu’au cas tordu où un directeur impressionnable, épaté par la distribution Mandriva installée par son fils à la maison, veut la même sur les gros ordinateurs de l’entreprise).

Cette curiosité fréquente pour le libre, de la part de gens qui n’y connaissent pas grand-chose (beaucoup d’entreprises n’ont pas de forte compétence informatique), oblige à soigner l’argumentaire. D’abord, débusquer systématiquement le présupposé selon lequel « Linux, c’est gratuit ». Dans le logiciel libre, « si la matière est gratuite, le service et la connaissance qui sont autour sont payants ». Pour enfoncer le clou, il compare cela à une voiture qui serait donnée gratuitement, mais qu’il faut tout de même faire fonctionner : mettre de l’essence, la maintenir en état... et bien sûr, la conduire.

Ensuite, il faut expliquer les avantages propres au logiciel libre (l’accès au code et l’indépendance vis-à-vis du fournisseur, principalement) mais, surtout, réussir à convaincre des qualités intrinsèques de la solution proposée. Au final, le client potentiel choisira en effet avant tout en fonction de l’adéquation aux besoins exprimés.

Promouvoir le libre pour Microsoft ?

C’est par un contact professionnel qu’il a été pressenti pour participer au programme de Microsoft intitulé Mythes et réalités sur le logiciel libre.
Les sessions se déroulaient en deux temps : d’abord une présentation des logiciels libres (par Yves Rougy, donc), puis une présentation de la réponse de Microsoft par Stéphane Kimmerlin, « Responsable Stratégie » chez Microsoft France.
Le public était composé principalement de partenaires commerciaux de Microsoft, et de quelques sociétés de services habituées à travailler avec les produits Microsoft.

Pourquoi organiser ces présentations et laisser s’exprimer un partisan du logiciel libre, ce qui semble revenir, pour Microsoft, à se tirer une balle dans le pied ? « Le but principal pour Microsoft est de faire connaître l’existence de Linux à ses partenaires, de leur montrer que ça marche et que la menace existe, afin qu’ils puissent en tenir compte. » Mais aussi, pense-t-il, « de corriger une erreur de communication suite à leur campagne de désinformation sur le libre ». Microsoft n’a pas intérêt à ce qu’on le croie viscéralement opposé au logiciel libre ; il veut que l’on sache qu’il travaille avec le libre ; il veut aussi que ses partenaires les plus fervents, ceux qui vendent des produits Microsoft à tout prix [3], soient capables d’apporter une réponse crédible à un concurrent très sérieux.

Maîtriser le libre

Face à un public si particulier, il a commencé par « une présentation de base du logiciel libre, ses libertés fondamentales », puis il a montré « les logiciels phares du logiciel libre : Ubuntu, Firefox, OpenOffice.org, Evolution, Samba, Apache ». L’organisation imposant un temps de parole assez court et ne prévoyant pas de travaux pratiques, il a trouvé une astuce : « nous avons préparé, et distribué sur DVD, une image VirtualPC d’une installation Ubuntu offrant les différents logiciels et exemples présentés. » Ainsi chacun pouvait-il, en rentrant chez lui, admirer et manipuler « un Linux en fonctionnement » sans avoir à redémarrer la machine pour insérer un CD, ni installer une partition séparée.

Les retours furent positifs : beaucoup n’avaient jamais vu de logiciels libres en fonctionnement ou s’étaient arrêtés à une première impression... obtenue il y a huit ans, sur une très vieille distribution RedHat. Dépaysement garanti, et selon Yves Rougy le logiciel libre ne va pas s’arrêter en si bon chemin. A côté des projets les plus visibles comme Firefox et OpenOffice.org, très importants car « le logiciel libre a besoin de visibilité », d’autres projets autour de la virtualisation vont « complètement exploser », comme Xen.

Il a pu mesurer le fossé entre son discours et celui de Microsoft. Le point de vue est différent : pour un partisan du logiciel libre, la priorité est aux libertés fondamentales, à l’accès au code source ; Microsoft parle plutôt d’évolution de parts de marché, de valeur ajoutée de telle version du logiciel, etc. Ainsi, Microsoft se retrouve en concurrence avec un écosystème totalement différent, et semble estimer que cette concurrence ne va pas faiblir.

Cependant, l’orateur Microsoft a un truc pour maîtriser les libristes. « Il m’a expliqué que quand il y a un pro-Linux dans la salle, il sait que ça va être difficile. Quand il y en a deux, c’est plus facile car, sur certains points, il va parvenir à les mettre en désaccord et les neutraliser réciproquement. » Décidément, « un certain nombre de militants du logiciel libre y mettent trop de religion, trop de passion. »

[1Un ordinateur Thomson, fer de lance du programme « informatique pour tous ».

[2Système permettant, avant l’expansion croissante de l’Internet, de discuter et de s’échanger des fichiers par téléphone.

[3Sans jeu de mots ;-)

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