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MS Office : vers la fin d’un monopole

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–  mercredi 2 octobre 2002, par Raphaël Rousseau

Une alternative à MS Office devient de plus en plus souhaitée et vraisemblable.
Opter pour un concurrent d’un autre éditeur ne permet pas de garantir la pérennité des investissements, alors qu’une solution logicielle libre propose de sortir des soucis inhérents au modèle propriétaire.

Des organisations ont déjà franchi le pas de quitter Microsoft (voir http://bureautiquelibre.fr.st/) et, si on se réfère à ce seul document, OpenOffice.org semble la solution la plus en vogue.

Un récent numéro de 01Informatique (n°1691 du 13 septembre 2002) contient un sondage intitulé : « La question d’un abandon de MS Office n’est plus taboue ». Une fois de plus, ce sont les stratégies qui trahissent un excès de gourmandise de la part des grands éditeurs qui jouent le jeu du logiciel libre. À vrai dire, les entreprises sondées ne sont pas aussi pro-OpenOffice.org que cela puisqu’elles seraient seulement 11.5% à pencher pour cette suite libre plutôt que vers Star Office (48.8%), Lotus SmartSuite (17.5%), Corel WordPerfect Office (10.2%) ou une autre suite (12%).

Ce qu’oublient à mon humble avis les partisans de suites non libres, c’est que divorcer de Microsoft pour épouser un autre éditeur, c’est ne pas apprendre de ses erreurs ! Errare humanum est, perseverare diabolicum [1].

Reproches à Microsoft

Ce que bien des organisations reprochent à Microsoft, c’est son nouveau système de licences. Soit, mais dans quelle mesure l’éditeur vers lequel se tourneraient ces entreprises ne pratiquerait-il pas, à terme, le même style de politiques ?

Naturellement, on pourrait rétorquer que ce ne sont pas des géants et que, eux, ils ne sont pas comme ça... Bien sûr ! N’avez-vous jamais vu de simples employés maudire leurs supérieurs hiérarchiques, se plaindre de leur attitude irrespectueuse, et se conduire de même manière lorsqu’ils sont eux-mêmes promus à des postes d’encadrement ?
Bien souvent, on retrouve ce genre de comportements : critiquer lorsqu’on est opprimé, mais opprimer lorsqu’on est en position de le faire.

Alternative vraiment alternative

En faisant le choix de migrer sa bureautique, pourquoi ne pas en profiter pour changer de politique de choix logiciels ?
Fréquemment, l’argument jouant en défaveur des logiciels libres est qu’« il va falloir prévoir des coûts en terme de formation, de migration de l’existant... », et cela suffit généralement à enterrer une potentielle solution logicielle libre.

Cette fois-ci, le sondage montre explicitement que la migration est envisagée, donc des coûts de migration et de formation devront être pris en compte, quelle que soit la solution adoptée. On se trouve donc en situation charnière, et le logiciel libre doit valoriser ses atouts, d’autant que l’inconvénient bloquant est incontournable dans tous les cas.

Coût global ?

Les études de TCO [2] mettent toujours un bémol sur les solutions libres en avançant des coûts importants de migration. C’est alors uniquement sur le long terme que le libre devient moins cher, grâce à ses coûts de licences inexistants.

Toujours migrer, mais pourquoi ?

Ce qui est toujours occulté par les études de TCO est que migrer d’une version d’un logiciel libre à une autre version du même logiciel, voire d’un logiciel donné à un autre, est bien plus aisé qu’entre deux versions d’un même logiciel propriétaire. Une raison est que les développeurs de solutions libres n’ont pas de directives visant à inciter quiconque à passer d’une version à l’autre. Les éditeurs, par contre, ont toujours intérêt à ce que leurs clients d’hier acquièrent les nouvelles versions de leurs logiciels. Combien de fois entend-on des utilisateurs protester à grand bruit contre telle version d’un logiciel propriétaire, qui comporte des correctifs à des fonctionnalités de la version précédente, et finalement peu de nouveautés ? Ils ont alors l’impression d’être des vaches à lait [3], d’autant plus que la nouvelle version introduit un changement du format des fichiers. Ce changement systématique n’est pas anodin : une fois le logiciel utilisé, les entreprises qui traînaient pour migrer se trouvent en situation de ne pouvoir échanger de tels fichiers avec leurs interlocuteurs habituels. Les réticents finissent alors par craquer, comme tout le monde, en fait.

Éduquer ?

Et si, finalement, la vérité était ailleurs ?
Il importe non seulement de permettre à tout un chacun de pouvoir effectuer un choix sur ses solutions logicielles, mais de faire en sorte que cela ne soit jamais un piège duquel on ne puisse sortir qu’à grand coût. Autrement, on aboutit à la situation actuelle où la barrière à l’entrée est trop haute : aujourd’hui il est assez difficile de se passer totalement de MS Office, même si ce n’est que pour transformer des documents entrants dans le format utilisé dans l’organisation. Bien des utilisateurs sont critiques envers le comportement de certains éditeurs, qui orchestrent l’emprisonnement de leurs clients.
Hélas, le comportement de bien des utilisateurs ne fait qu’accentuer cet état de fait (lire à ce sujet We Can Put an End to Word Attachments) : lorsque vous attachez à vos courriers des fichiers exploitant des formats fermés, vous forcez vos interlocuteurs à vous conformer aux mêmes choix que ceux auxquels vous avez été contraint. Ce comportement normatif constitue en partie cette barrière à l’entrée pour tout autre challenger au logiciel en question.

Bonnes technologies ou bonnes pratiques ?

La balle en argent reste une chimère à laquelle veulent nous faire croire les géants du logiciel, et à laquelle tout décideur aimerait croire. Combien d’utilisateurs se comportent avec un traitement de texte moderne (tel, au hasard, celui d’Open Office) comme devant une machine à écrire ? Je ne pourrais me targuer de chiffres, mais à mon avis beaucoup plus que les éditeurs de tels logiciels propriétaires ne voudraient le reconnaitre...

Pourquoi une telle préoccupation ?

Pour la raison suivante : les logiciels de bureautique, qui représentent une proportion colossale de la réalité quotidienne de l’informatique pour des millions d’utilisateurs [4], sont toujours en train de rivaliser de fonctionnalités. Leur nombre est tel qu’aucun éditeur ne s’avance à citer un chiffre, mais l’ordre de grandeur du millier ne me parait pas déraisonnable. Si vous avez un parc de 100 machines ayant toutes une licence de MS Office, alors que vous pourriez très bien vous contenter de Word, quelle proportion de ces fonctionnalités sera utilisée, à votre avis ?
Un maximum de 20% pour les utilisateurs les plus avertis, 10% pour les moins aguerris.
Vous conviendrez que l’argument du nombre de fonctionnalités ne tient alors pas.

Par contre, si vous faîtes l’investissement de former le personnel qui aura à utiliser des outils au quotidien, afin de le sensibiliser aux fonctionnalités-clés, ainsi qu’aux pratiques raisonnées qui leur sont liées (notamment les problématiques de formats, de tailles de fichiers dans les e-mails...), alors là vous pourrez envisager un véritable gain en aisance et en rapidité donc souvent en qualité de l’usage des ressources informatiques.

Forme ou contenu ?

Ce qui est navrant avec les outils les plus répandus sur le marché ce la documentation informatisée est la fontionnalité WYSIWYG [5], sur laquelle des millions d’utilisateurs s’attachent des heures durant, au lieu de se concentrer sur l’essentiel : le contenu.

Grâce à des logiciels intelligents, tels que SPIP [6], la tâche de présentation -de rendu- est distinguée de manière stricte de celle du contenu -la partie purement rédactionnelle. Une personne (ou une équipe) se concentre sur la présentation en définissant puis mettant en oeuvre la charte graphique, tandis que les rédacteurs, eux, n’ont qu’à faire leurs articles en se basant sur le fond [7]. C’est alors qu’on se réduit à l’essentiel de la mise en page : mettre en avant des termes (en italique ou en gras), indiquer des titres, des liens, des notes de bas de page, ou insérer des images sur le seul critère de l’alignement (gauche, centré ou à droite).

SPIP est destiné à la publication pour Internet, soit, mais pourquoi ne pas faire de cette pratique une règle générale : donner aux responsables rédactionnels des squelettes pour leurs documents courants et les laisser le soin d’y introduire du contenu. On y gagnerait en homogéneïté dans les présentations, ainsi qu’en temps à mettre en place la présentation de tels documents.

Conclusion

Parler de choix de suite bureautique c’est déjà faire une première supposition : celle qu’on a nécessairement besoin d’un tel outil. La question est plutôt : quels sont les critères qui devraient présider au choix d’une solution d’échange et de publication d’informations écrites ?

Si on y regarde de plus près, c’est véritablement l’enjeu d’une suite bureautique : élaborer des documents, puis être capable de les imprimer et de les échanger. Le critère majeur est donc la portabilité : utiliser un format qui soit le plus ouvert afin que mes correspondants puissent exploiter les mêmes documents que moi. À quoi me sert mon logiciel qui permet une multitude de fonctions si personne ne peut lire les documents que j’expédie ?
Sur cette base, on peut s’interroger sur les possibilités-clés à prévoir, de sorte que les documents présentent un potentiel suffisant pour tout type de document. L’outil s’efface peu à peu et c’est bien le format qui devient la considération première. Les outils logiciels se rangent donc au second plan, devenant interchangeables et non plus incontournables.

Le volet indispensable sera de former les utilisateurs aux bonnes pratiques, de manière à ce que des choix effectués au sein de la structure ne soient pas pénalisants dans la vocation de l’information à circuler [8].

Image publiée avec l’autorisation de son auteur Gérard Boudjema

[1Locution latine, « l’erreur est humaine, persévérer est diabolique »

[2Total Cost of Ownership, le coût total de possession d’une technologie.

[3Le mot vache à lait est un terme désigné du marketing pour une situation où l’endettement initial est faible, le coup de renouvellement quasi nul et la rentabilité escomptée phénoménale. Il s’agit d’une référence à la matrice BCG d’analyse de la valeur.

[4La bureatique constitue un tel usage exclusif d’un ordinateur que bien des utilisateurs ne distinguent pas l’ordinateur (matériel) du système d’exploitation, ni le système d’exploitation de leur système de traitement de texte.

[5WYSIWYG : What you See Is What you Get, vous obtenez à l’impression ce que vous voyez apparaitre sur votre écran.

[6SPIP est l’outil que nous utilisons pour le présent site.

[7On parle alors de WYSIWYM (What You See Is What You Mean), ce que vous voyez est ce que vous signifiez.

[8Voir la campagne Sincere Choice, qui vise à rétablir la préférence des concepteurs de logiciels pour les utilisateurs, en leur laissant le libre arbitre pour leurs solutions logicielles.

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